D'habitude j'aime les mots, j'aime m'en saisir. J'aime les dictionnaires, j'aime comprendre, j'aime savoir ce que les choses veulent vraiment dire. J'aime choisir mes termes avec précision.
Et pourtant, sur les mots qui désignent le "handicap", je n'arrive pas encore à me former une opinion nette. Claire. Précise. Peut-être en aurai-je une à la fin de cette réflexion, enfin de cet article.
Didascalies : si vous ne connaissez pas mon histoire, je la résume dans le premier article de cette série Different like U - N°1 L'Inclusion.
Voilà ce qu'on peut trouver dans le dictionnaire pour désigner le "handicap". D'ailleurs, peut-on vraiment utiliser ce terme au singulier tant il désigne des singularités différentes ? Bref.
> Invalide : Se dit de quelqu'un qu'une infirmité rend incapable d'activité. Larousse
> Handicapé.e : Personne atteinte d'une infirmité ou défavorisée sur un point quelconque. Larousse
> Infirme : Qui ne jouit pas de toutes ses facultés physiques. Larousse
Tout ce que je peux vous dire, c'est ce que je ressens face à ces mots.
Au début, pour moi, tout ça était temporaire. Alors ça ne me posait pas vraiment problème, comme quelqu'un qui se casse le bras et a un plâtre pendant un mois. Puis, ça a duré, et on a pu faire des démarches pour que je sois reconnue handicapée avec tous les avantages qui vont avec : la carte, les réducs dans les musées, le stationnement,... j'y reviendrai.
Mais moi, j'avais comme qui dirait le cul entre deux chaises, parce que je me sentais pas vraiment handicapée, et en même temps je me rendais bien compte que la reconnaissance m'était bien utile à de nombreux égards.
Du coup j'étais comme dissociée.
Et entre en scène, Juuuuuuulia, 16 ans, la fille vraiment quand juvabien c'est juvamine. :D Celle qui n'a pas changé, celle qui a envie d'être toujours la même, qui nie même un peu le délire (surtout à elle-même).
Celle qui rejette ce mot auquel elle ne s'associe pas, car c'est pas grand chose après tout. Celle qui minimise, celle qui rassure. Celle qui prouve même qu'elle est encore plus forte que les valides. Celle qui reste jusqu'au bout, du bout, du bout de la soirée sur le dancefloor, pour ne pas risquer de paraître faible, pour ne pas laisser l'occasion de penser que oui, elle est quand même handicapée. Celle qui surperforme. Pour convaincre qui ? Sûrement d'abord elle-même.
Celle qui dit non merci quand on lui propose de s'asseoir. Celle qui n'ose pas demander quand elle a besoin de s'asseoir. Celle qui a prévu de ne montrer aucune faiblesse, puisque c'est bien ça finalement, être handicapé.e, c'est être faible.
Et puis, de temps en temps, il y a une Julia un peu timide avec ses droits, un peu mal à l'aise de passer devant tout le monde dans les lieux publics, ou de ne pas payer la piscine municipale. Elle ne se sent pas vraiment légitime, pas assez handicapée pour prétendre à tout ça.
Et ça l'amène à un sacré mindfuck : "Je suis handicapée, donc je veux être solidaire avec les handicapés, mais je profite de ces droits, et est-ce que d'autres n'en auraient-ils pas plus besoin ? Du coup ne suis-je pas, en étant reconnue handicapée, en train de trahir cette même communauté à laquelle je ne sais même pas vraiment si j'appartiens ? " Chais pas frère, file moi un doli j'ai mal au crâne.
Et aujourd'hui, dix ans plus tard ? Ca va mieux et je fais la paix avec toutes les parties de moi, mais ce sera l'occasion d'une autre discussion. Mais comme je le disais, il m'est encore difficile de me faire une opinion. Plus concrètement, j'ai longuement hésité à mettre handicapée ou invalide sur ma bio Insta. To be or not to be disable ? DIS-ABLE (tain, même en anglais on nous a lâché.es).
D'un côté, il y a un mouvement grandissant de visibilisation du handicap qui fait un bien fou. Beaucoup de comptes Insta notamment font souffler un vent de fraîcheur sur tous les vieux préjugés qu'on pouvait avoir jusqu'alors. ALLELUIAAAAAAAA :D
Comptes à suivre sur le champ : @wheelchair_rapunzel, @therollingexplorer, janijuana (qui a eu le même cancer que moi), @alexandrejollien (qui répand la lumière sur ce monde via ses livres), @douzefevrier, @disabled_fashion !
--> Si vous en connaissez d'autres, lâchez vos com'z (la génération Skyblog comprendra).
Du coup, en 2020 (un rappel qui ne fait pas de mal), pleine d'entrain et d'inspiration et de paillettes dans les yeux, je suis allée sur synonymo.fr (oui j'ai des ref qui pèsent dans le game), avec l'espoir de trouver LE mot.
LE mot qui décrirait le handicap de manière objective, inclusive, positive, et même, soyons fous avec une pointe inspirée d'empowerment.
Visiblement le Père Noël n'a pas reçu ma liste (certes c'est moyen la saison). Débandade, déconfiture, dépit. Voilà ce qu'on trouve comme synonymes du handicap :
atrophie
blessure
désavantage
gêne
incapacité
inconvénient
infériorité
invalidité
mutilation
obstacle
oligophrénie (moi-même j'étais pas au courant, "Synonyme de déficience mentale" selon le Larousse #garssûr #àpartquandilditquelaboulangèreceestlafemmeduboulanger #laboulette)
FRÈRE, COMMENT TU VEUX ACCEPTER TON HANDICAP ET FAIRE TIENS CE MOT QUAND IL VEUT LITTÉRALEMENT DIRE INFÉRIEUR / OBSTACLE / DÉSAVANTAGE ? SÉRIEUSEMENT ?
Je me rends compte en lisant ça pour quelles raisons et à quel point je DÉTESTE ce mot. Parce que leur définition même reflète ce que la société en pense, et non ce que ça devrait vraiment désigner. Ça définit des sous-humains, avec des trucs en moins. GUYYYYYYYYYYYYYS, we're so much MORE ! (désolée, parfois mon inner disable Beyoncé step up, anyway).
C'est comme si en synonyme officiel de "femme", il y avait "inférieur.e". Dieu merci, ce n'est "que" ce qu'une bonne partie de la société pense encore, et qu'on déconstruit à coup de massues. Mais ce n'est pas son sens, sa définition, sa nature. Parce que ce mot ne VEUT PAS DIRE CA à la base. Donc, on peut se l'approprier, le brandir, le broder sur des tee-shirts, le faire nôtre, l'enfiler et être confortable dedans.
Mais handicapé ? Invalide ? Infirme ? Comment tu le déconstruis et tu te l'appropries quand ça veut littéralement dire FAIBLE, INCAPABLE, MOINS QUE ?
Ça me fait penser au super bouquin d'Alexandre Jollien, Éloge de la faiblesse, qui réussit avec brio à se réapproprier ce mot. Mais toujours est-il que si je mets "faible" dans ma bio Insta, les gens vont pas comprendre.
Alors comment je fais pour être comprise par les gens sans devoir dire noir sur blanc que je suis moins que ?
Parce que comme c'est ce que je m'évertue à déconstruire à titre individuel (ouais parce qu'on est tous enough, tsé), ba je suis moyen chaud d'ÉCRIRE "moins que" pour ME DÉCRIRE. La dissonance cognitive c'est pas foufou tmtc.
Bref, en voyant ces définitions et ces synonymes "officiels" écrits noirs sur blanc, je comprends mieux ce malaise à me décrire avec ces mots. C'est comme si je me foutais une balle dans le pied niveau développement personnel, mais c'est quand même bien pratique d'être identifié comme telle par la société car c'est ce qui permet de jouir de ses droits. Car ce n'est pas moi qui me décris, c'est la société. Et pourtant, j'en ai besoin de cette désignation. Alors comment je fais ?
Oui, ça me fait chier de dire à la piscine : "Bonjour, je vais vous prendre une entrée handicapé.e". Alors que j'ai jamais eu de problème à dire "Bonjour, je vais vous prendre une entrée étudiant.e" ou "Bonjour, je vais vous prendre une entrée demandeur.euse d'emploi". C'est vrai, c'est factuel, c'est simple. Ça n'attire pas de sentiments de désolation ou de pitié.
D'ailleurs ce n'est pas pour rien qu'on a pris le temps de mettre les formes et qu'on ne dit plus "chômeur.euse" mais "demandeur.euse d'emploi". Ba ouais, on ne met plus une étiquette toute pourrie qui déprime les gens, on les décrit en action vers un objectif, c'est plus sympa non ?
Du coup, on pourrait peut-être faire ça pour nous aussi ? Dire que finalement on est des êtres différents mais exceptionnels et super riches qui ont plein de trucs à apprendre aux autres :D
"Bonjour, je vais vous prendre une entrée Êtres différent.es mais exceptionnel.les et super riches qui ont plein de trucs à apprendre aux autres". Ça claque non ?
--> Deuxième moment de briller, si vous connaissez un putain de terme qui veut dire handicapé.e, qui est compris par le reste du monde et qui ne veut pas dire intrinsèquement "moins que ton voisin", voire qui veut dire que la différence c'est normal et même plutôt cool, je réitère, lâchez vos com'z.
Pour le moment, rien ne me vient à part "différent". C'est d'ailleurs pour ça que je n'ai nommé cette série d'articles "Different like U". Parce que le seul mot que j'ai trouvé jusqu'à présent pour regrouper tous les "handicaps", c'est "différent".
Et ce qui est génial, c'est que ça regroupe toutes les minorités finalement. Et qu'en vrai de vrai, ça regroupe tout le monde, parce qu'on est tous différents (non, je ne suis pas (encore) candidate à Miss France (encore un truc à déconstruire tiens)). Et comme on est tous différents, et ba ça nous fait un sacré point commun :D
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